Décès du Pr Jean-Didier VINCENT

Né à Libourne en 1935, Jean-Didier Vincent accomplit sa scolarité au Collège protestant de Guyenne à Sainte Foy-la-Grande comme le fit, un siècle plus tôt, Elisée Reclus, géographe et anarchiste dont il appréciait l’œuvre. Mais cette cité a vu aussi naître Paul Broca, un des fondateurs du localisationnisme, conception qui ne laissa pas indifférent JD. Vincent.  Ensuite, il va parcourir d’un trait le cursus de médecine à la Faculté de Bordeaux : Internat, Licence ès Sciences, Assistanat, Diplôme de Neuropsychiatre et Agrégation de Physiologie. Il devient Professeur des Universités-Praticien Hospitalier puis Chef de service en explorations fonctionnelles du système nerveux au CHU de 1971 à 1991. Il crée un des premiers Laboratoires d’études du sommeil. Il sera Doyen de l’UFR 1, dénommée Paul Broca, de 1974 à 1979. Il dirige l’Unité INSERM « Neurobiologie des comportements » de 1978 à 1991. En 1992, il quitte Bordeaux pour prendre la direction du Laboratoire propre du CNRS « Alfred Fessard » à Gif sur Yvette et devient Professeur des Universités à la Faculté de Paris-Sud.

Pendant ses études il fut en contact avec le Pr Paul Delmas-Marsalet qui l’impressionna par l’originalité de ses travaux mais dès son internat il allait fréquenter le Laboratoire de Médecine Expérimentale associé à l’Institut National d’Hygiène (ancètre de l’INSERM) créé par le Pr Jacques Faure dont il sera l’élève.

Il perçoit d’emblée l’importance, dans l’étude des comportements, des modèles animaux en situation chronique pour analyser le couplage entre activité électrique cérébrale et libération et modulation hormonales. Une de ses premières publications avec J. Faure concerne la relation entre l’ovulation et une séquence comportementale qui sera interprétée comme étant du sommeil paradoxal.  

Parmi ses travaux, l’étude qu’il conduit sur le rôle de l’hypothalamus antérieur dans le comportement de boisson, est révélatrice de la dynamique de sa démarche scientifique. Ainsi, il montre comment l’activité électrique des osmorécepteurs du noyau supraoptique (NSO) code non seulement le besoin en eau et le déclenchement du comportement dipsique mais aussi la neurosécrétion pulsatile de l’ADH. De plus, il détecte, autour des osmorécepteurs du NSO, des neurones qui anticipent la satisfaction du besoin en eau et contribuent à arrêter le comportement de boisson bien avant le rétablissement de l’osmolalité plasmatique. Il donnera à ces neurones une valeur motivationnelle correctrice.

Il défendra cette approche qui relie activité neuronale, libération hormonale pulsatile et séquence comportementale tant pour le système hypothalamique magnocellulaire : boisson et ADH et lactation et ocytocine, que pour le système parvocellulaire : ovulation et LH-RH. En cela JD Vincent est un père fondateur de la neuroendocrinologie moderne.

A partir de cette démarche il va définir une physiologie de « l’inconstance » qui s’oppose à celle de la constance du milieu intérieur de Claude Bernard ou de l’homéostasie de Walter Cannon. Il s’agit d’ « un état central fluctuant » soumis sans cesse à des variations physiologiques ou psychologiques. Ces écarts suscitent des « drives » ou pulsions motivationnelles (soif, faim, désir sexuel…) qui s’extériorisent par des séquences motrices correctrices.

Il n’aura de cesse de décrypter les bases neuronales des grands comportements : boisson reproduction, sommeil, motivation, olfaction, mémoire…Usant d’un constant « va et vient » entre le normal et le pathologique et en s’appuyant, en fonction du questionnement, sur des approches très intégratives mais aussi sur des modèles simplifiés. Cette vision est en grande partie à la base du développement des neurosciences à Bordeaux. Il y a créé une véritable école où il a su faire cohabiter scientifiques et médecins. Plusieurs de ses élèves ont dirigé ou dirigent des formations INSERM ou CNRS. Cette capacité à bâtir, il l’a apportée dans les commissions des EPST où il a régulièrement siégé. Président du Conseil de Département des sciences de la vie du CNRS, il a contré le faux débat entre physiologie et biologie élémentaire. Au Conseil National des Universités, où il fut Président de la section de Physiologie, il a veillé au recrutement de médecins physiologistes réellement impliqués dans la recherche.

Un autre aspect de sa personnalité et de son œuvre renvoie à ses qualités pédagogiques. Ses cours de Physiologie, surtout en PCEM1, demeurent présents dans la mémoire des étudiants. On y retrouvait une force exemplaire, parfois provocatrice, à disséquer, à déconstruire un mécanisme, à expliquer une régulation ou l’installation d’un processus morbide. Ceci se retrouvera dans les émissions de diffusion des sciences qu’il produisait sur France Culture. Cette remarquable capacité à médier les connaissances l’amènera à siéger au Conseil National des Programmes qu’il présidera plusieurs années.

Enfin, une dernière facette de son activité trouve son expression dans l’écriture. Depuis 1986, avec la Biologie des Passions il a initié une ascèse d’explication du fonctionnement du cerveau et du psychisme par plusieurs ouvrages : La chair et le diable, Voyage au centre du cerveau, La vie est une fable, Eve épouse Adam…

Jean-Didier Vincent, personnalité créative, attachante et provocatrice, est membre de l’Académie Nationale de Médecine, de l’Académie des Sciences et de nombreuses sociétés savantes internationales. Il est Officier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur et Commandeur dans l’Ordre des Palmes Académiques.